Bruxelles à la recherche des pro-européens dans l’Italie du printemps 2018
Lettre d’Italie, n. 3 Rome, 21 Avril 2018
"En politique il y a beaucoup de Pâques, et plein de Résurrections"
Giulio Andreotti, Homme d'Etat italien, 1919-2013
Vue de l’Europe, la défaite essuyée, meme si sous des formes et dans des mesures différentes, par tous les anciens Chefs du Gouvernement, et par les partis, qui ont régi l’Italie au cours du dernier quart de siècle, est pire qu’une mauvaise nouvelle. C’est le signal qu’à Rome le projet européen ne fait plus – peut-être – la majorité derrière soi : ou au moins ne la fait plus de manière inconditionnelle, comme il se passait encore hier.
Soixante-dix ans exacts se sont écoulés depuis le 18 Avril 1948, qui à été commémoré ces jours-ci à Rome, à grand renfort d’historiens et de représentants officiels des pays qui ont été pendant cette longue période les amis et les allées de l’Italie. Car c’était l’anniversaire des législatives où la coalition des forces catholiques et laïques conduite par Alcide De Gasperi avait écrasé les communistes et les socialistes, réunis dans un unique Front Populaire ; la journée historique où avaient ainsi été créées les conditions pour l’adhésion de l’Italie au bloc atlantique et pour en faire un des pays fondateurs de l’Europe unie.
Alors, comme en 2018, les Italiens avaient voté avec un mode proportionnel de scrutin ; et la Démocratie Chrétienne l’avait emportée avec 48% contre le 31% du bloc socialo-communiste, avec un taux d’absentéisme d’à peine 8% ; et cela ne pouvait que faire remarquer la situation d’aujourd’hui, où un mouvement qu’on hésite à définir politique, sans vrai programme, et avec 32% des voix sur un corps électoral qui n’a voté qu’à 70%, se déclare gagnant absolu. Ce qu’il peut se permettre de faire seulement à cause du fait que le vote populaire s’est dispersé sur sept partis ou mouvement dont un seul – la Ligue, qu’à Strasbourg fait groupe avec les élus de Marine le Pen – avait un vrai programme: un programme surement désagréable, aussi précis que dur – assez d’immigrés, les Italiens d’abord – mais un programme, quand meme.
La crise majeure que vit l’Italie d’aujourd’hui est en effet caractérisée non seulement par de la disparition des familles politiques traditionnellement pro-occidentales – catholique, libérale, social-démocrate et mazzinienne –, mais aussi par un très grave affaiblissement des forces de gauche qui s’étaient ralliées à l’Europe et à l’Otan après le déclin du bloc soviétique. Bref, les observateurs extérieurs, ainsi que le grands acteurs politiques internationaux, ne peuvent se soustraire au sentiment que tout se qui se passe dans la Péninsule est la conséquence d’une crise systémique. Et que, dans une perspective historique, on assiste en réalité à la fin des partis politiques issus des idéologies du dix-neuvième siècle, et qui s’étaient consolidés et maintenus au pouvoir jusqu’à il y a 25 ans.
Qu’il s’agisse d’une disparition définitive, ce n’est pas certain. Ce qui est évident est cependant que ce sont des défaites qui ont eu lieu sur la scène italienne, mais dont les conséquences dépassent largement les frontière de la Péninsule.
Dans une perspective plus large, les événements qui se sont passés en Italie dans les premiers mois de 2018 reflètent en effet des tendances qui sont clairement à l’œuvre en Allemagne et aux EE. UU, aussi bien qu’en France. Et que ont déjà eu – et continueront inévitablement à avoir – des répercussions internationales.
Il n’a, par ailleurs, pas échappé à l’opinion publique de la Péninsule – à toute l’opinion publique, non aux seuls spécialistes d’affaires internationales – que certains acteurs de la politique européenne, ayant compris dès avant le vote l’orientation des Italiens, ont essayé de jouer eux aussi une rôle dans la campagne électorale. Evidemment, cela ne s’est pas passé avec l’aide d’hackers ou avec la diffusion de « fausses nouvelles », comme l’on essayé de faire croire dans d’autres pays. Au contraire, aucune prétendue intrusion n’a été évoquée, meme pas comme hypothèse ni pendant la campagne, ni après la décompte, car personne ne l’aurait prise au sérieux ; ce qui fait honneur au public italien, qui a ainsi donné une grande preuve de maturité et d’équilibre.
Les tentatives de donner l’impression qu’il a encore, chez les Italiens, une quantité substantielle de forces politiques pro-européennes – ce qui n’est pas faux, mais avec un européisme différent de comme on l’imagine à Bruxelles et à Berlin – ont donc obligé l’establishment bruxellois à une véritable et assez pitoyable cabriole : un changement, meme un renversement, d’attitude envers Silvio Berlusconi. Qui a été reconnu, avec son mouvement. Forza Italia, comme pro-européen, ainsi que le Parti Démocratique, dernière incarnation de la gauche ex-communiste.
Les Italiens ont donc eu le privilège de voir tout l’establishment globaliste et pro-européen se précipiter soudainement au secours de l’ancienne âme damnée, que ce meme establishment avait lui même, pendant des années et des années, transformé en un paria, et dont – avec l’aide substantielle du système judiciaire de la Péninsule – ils avaient fait le political outcast le plus insulté et le plus ridiculisé d’Europe. On a en effet eu l’occasion de voir la tentative de faire amende non seulement de la part du même directeur de l’Economist qui lui avait dédié une aussi arrogante qu’impitoyable campagne d’injures allant jusqu’à le définir « indigne de gouverner », mais aussi de la part de personnalités politiques tel Mme Merkel ou Jean Claude Juncker.
Et si la Chancelière, qui avait publiquement ri de lui, (avec Nicholas Sarkozy, qui avait cependant, au printemps 2018, d’autres chats à fouetter) a essayé de sauver la face, en limitant à quelques minute sa présence à un déjeuner auquel participait le chef de Forza Italia, Juncker l’a reçu officiellement et chaleureusement, et a longuement discuté avec lui d’économie, d’immigration, et meme de « main tendue à la Russie », un thème très cher au magnat milanais, mais pas très à la mode ces temps-ci.
Ce pitoyable spectacle s’est prolongé avec les propos du chef du groupe PPE à Strasbourg, Manfred Weber, bras droit de Mme Merkel qui avait toujours été ouvertement hostile à Berlusconi: “C’est une bonne chose que Silvio Berlusconi soit à Bruxelles: nous avons les mêmes idées, une Europe forte et une Italie forte “. De plus, M. Weber “ne pense pas qu’une réhabilitation soit nécessaire:” Silvio Berlusconi est un grand Européen, même ein großer italienischer Staatsmann (un grand homme d’Etat italien, N. de la R.).
De son coté, le Président du Parti Populaire Européen, Joseph Daul, est venu à Rome pour rencontrer Silvio Berlusconi dans sa résidence du Palais Grazioli, et a déclaré au principal quotidien de la Capitale italienne : «je souhaite la victoire d’un centre-droit dirigé par Forza Italia, avec Berlusconi comme garant”. Des revirements qui donnent la mesure de la crainte d’une possible victoire des populistes et des souverainistes – victoire qui a ponctuellement été au rendez-vous le Dimanche 4 Mars – et de la nécessité de faire feu de tout bois pour renforcer le champs adverse, dans une situation où les Italiens souffrent, en ce qui concerne les rapports avec leurs voisins du Nord, et encore plus envers l’oligarchie bruxelloise, d’une déception d’autant plus brulante qu’ils ont été pendent des décennies naïvement convaincu que cette nouvelle appartenance leur aurait apporté la solution de tous leurs problèmes.
Moins graves, meme si plutôt différentes, les conséquences dans le contexte européen de la nouvelle défaite de Matteo Renzi et du Parti démocratique. L’alliée Emma Bonino – avec son mouvement « Davantage d’Europe ! », qui n’a pas atteint le 3% – n’a pas apporté beaucoup en termes de consensus électoral, même si elle a réussi à leur donner une plus précise identité en politique étrangère.
Les Cinq Etoiles ont cependant soustrait la part la plus populiste de leur vote, et cela donne au PD la possibilité de s’aligner sur la politique pro-européenne du président français Macron. L’idée de Renzi serait – d’ici les élections européennes – de créer au Parlement de Strasbourg, avec En Marche et avec les centristes espagnols, une nouvelle famille politique pro-européenne, mi-chemin entre les Partis populaires et la social-démocratie, de façon à se tailler un espace autonome politico-électoral à l’échelle di continent, notamment en vue du grand partage des postes de l’UE d’ici 18 mois.
Cela pourrait ne pas s’avérer impossible. Humilié, mais pas éliminé du jeu, Renzi, même s’il a été contraint de démissionner de secrétaire du PD, maintient un large contrôle des groupes parlementaires, notamment au Sénat. Le scénario qui pourrait s’ouvrir est celui d’une nouvelle orientation du PD, avec les Renziani prêts à former un groupe autonome ayant, sur les questions internationales et européennes, des positions à la Macron; des positions par ailleurs auxquelles pourrait aussi bien s’inspirer au moins une partie d’entre cette sorte d’OVNI que sont les Cinq Etoiles qui à présent brillent d’une lumièreà la couleur incertaine dans les cieux de l’Italie .
Rome, 21 Avril 2018 (à suivre)
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