La nuit la plus sombre
Lettre d’Italie n.6 – 8 Juin 2018
"Celle de hier a été la nuit la plus sombre de la démocratie italienne" avait été, le lundi 28 Mai, quatre jours avant la naissance du nouveau gouvernement italien, la déclaration fracassante de Luigi Di Maio, l’ainsi-dit Chef Politique du Mouvement Cinq Etoiles [M5E].
C’est une opinion que tout Italien informé et responsable, ainsi que tout observateur étranger à peine compétent, ne peut que partager; et le partager avec autant plus de fureur que le principal si non l’unique responsable de la crise dramatique que la République a vécu le dernier dimanche du mois de Mai n’est personne d’autre que Di Maio lui même. Un Di Maio hors de soi à cause de l’échec essuyé par le M5E dans sa tentative d’imposer un des siens comme Ministre de l’Economie dans le gouvernement de coalition qui était e train d’être formé avec la Ligue. Et encore plus hors de soi par la crainte que sa foudroyante carrière politique ne le ramène immédiatement au néant qu’avait toujours été sa vie.
La rage du jeune homme se focalisait surtout sur le Président de la République, à cause de son refus de signer la nomination de M. Savona, un extrémiste anti-européen au Ministère de l’économie ; refus qui avait entrainé la renonciation du Premier désigné, M. Giuseppe Conte et rendue pour un moment vraisemblable l’hypothèse d’un « gouvernement du Président », dont la tache aurait été d’organiser un nouveau tour d’élections législatives à une date extrêmement rapprochée, le 29 Juillet.
La tentation du coup d’Etat
Face à cette hypothèse, Di Maio, qui trois mois durant s’était sans démordre proposé comme Chef du Gouvernement, et qui dans l’effort avait passablement porté atteinte à sa propre image, avait donc perdu la tète et avait rejoint Mme Georgia Meloni, leader des Frères d’Italie, la réincarnation la plus récentes des anciens fascistes, pour demander la mise en accusation du Chef de l’Etat, coupable – à son avis – rien moins que de haute trahison et attentat à la Constitution. Et avait essayé de rassembler des foules – avec beaucoup moins de succès que d’habitude, quand meme – pour les déchainer contre la personne et le comportement de la plus haute autorité de l’Etat.
Surtout il avait organisé pour le 2 Juin – jour qui est l’équivalent italien du 14 Juillet – une manif à se tenir le à quelques centaine de mètres à peine du défilé militaire officiel qui a lieu tous les ans en ce jour à la présence des plus hautes autorités de la République. Un vrai “contre-défilé” visant bien sur à perturber la cérémonie officielle, et si possible à provoquer des violences. Et surtout à donner substance aux propos de Di Maio – “maintenant, l’Etat c’est nous!” – et donc à proposer le Mouvement Cinq Etoiles en contre-Etat, en alternative à la République et à ses institutions
Bien sur, Matteo Salvini, son présumé – et futur – partenaire de gouvernement, ne l’avait pas suivi dans cette folie. Le dédaigneux refus de celui-ci n’avait pu cependant empêcher que l’appel éversif de Di Maio ne trouve un écho dans la minorité des Liguistes des origines, ceux de la Ligue du Nord qui faisaient les rituels païens d’adoration du Dieu Pô. Ces pitoyables revenants que les Italiens appellent les “austriacanti”, dont le séparatisme est en apparence du à la nostalgie pour l’Empire des Habsbourg, mais en réalité se nourrit des très bons rapports avec les banquiers bavarois, ont donc crée un problème pour un Salvini qui s’efforce de représenter l’intérêt national, et d’encrer la Ligue ex-séparatiste à l’intérieur de ce que, dans le demi siècle successif à la fondation de la République, on a toujours appelé la “zone constitutionnelle”, dont font partie toutes les forces politiques à l’exception de néo-fascistes, meme si ceux-ci ont toujours été présents dans les institutions électives car, contrairement à ce qui se passait en Allemagne, en Italie la République issue de la Résistance a toujours été assez forte pour tolérer que les organisations politiques des néofascistes soient pleinement légales
Si donc Di Maio n’a pas hésité à se jeter dans une improbable et tout à fait velléitaire tentative d’abattre la principale institution de la République, tandis que Salvini s’y refusait, un député de la Ligue a quand meme ressemblé on line, pour demander la mise en accusation de Président, 38.000 “likes” dont certains étaient accompagnés d’insultes vulgaires et meme de menaces de mort. Encore plus grave, certains maires – toujours de la Ligue – dans le profond Nord de l’Italie, ont mis en acte une sorte de mutinerie contre la République, allant jusqu’à décrocher les portraits du Chef de l’Etat des murs de leurs bureaux. Instigateur de ces initiative était un certain Paolo Grimoldi, soi-disant secrétaire “national” [donc séparatiste] de la Ligue Lombarde, député de la “vieille Ligue” depuis 2006, et connu pour avoir en 2010 demandé l’intervention du Ministère de l’Education pour empêcher la lecture du Journal d’Anne Frank dans une école primaire quelques dizaine de kilomètres au Nord de Milan.
Pendant une quarantaine d’heures Di Maio a donc réussi à faire assez de bruit pour qu’à Paris “Le Monde” pale de “chaos constitutionnel en Italie“, avant de faire un énième volte-face et rentrer dans les rangs. Mais pas complètement, car n’a jamais dit de s’être trompé, ou d’avoir changé d’avis, ni s’est-il excusé avec le Chef de l’Etat. Il a simplement justifié l’abandon de cette campagne éversive avec le fait que Salvini, qu’il a ironiquement appelé “cœur de lion”, ne lui avait pas donné son soutien pour “aller jusqu’au but”. Et lors de la contre-manif ténue, ce volte-face non-obstant, le 2 Juin – l’équivalent italien du 14 Juillet – pour déranger le défilé militaire qui avait lieu à quelques centaines de mètres de distance il a répété : “maintenant, l’Etat c’est nous ! ” Concept qu’il a éclairci une semaine plus tard – quand il était déjà vice-premier Ministre – en faisant valoir, pour inciter les citoyen des quelques 800 villes où des élections municipales allaient se tenir le 10 juin, à choisir le M5E, que “d’avoir des Maires à 5 étoiles dans sa commune signifie avoir des Maires qui ont le gouvernement de leur coté et qui pourront toujours parler avec les ministres pour résoudre leurs problèmes”. C’est-à-dire, a remarqué La Stampa, que les Maires d’autre orientation politique auront un traitement différent.
En cette même occasion – la “contre-cérémonie du 2 Juin” – le mentor de Di Maio, l’humoriste Grillo, fondateur et grand rassembleur de sympathies pour le M5E, a prononcé un discours fleuve, dans lequel il a entre autre chose annoncé qu’il serait désormais candidat à la Présidence de la République – “pour contrôler Di Maio”, a-t-il ajouté, avec le sournois clin d’œil du guitto. Or, Grillo est un saltimbanque, et il peut toujours prétendre qu’il a dit ca pour rire, et faire rire. Mais le fait reste que, étant donné que dans le système italien le Président est élu par les Chambres réunies, et que le mandat de Mattarella va se terminer dans moins de cinq ans, le choix de son successeur pourrait effectivement être fait par le Parlement “introuvable” issu des législatives du 4 Mars 2018 ; le Parlement le plus “anti-politique” dans l’histoire de la République, Si l’on tient compte du fait que le mandat du Président de la République dure sept ans, on peut comprendre pourquoi ce “detaille”de la crise italienne, qui a echappé à la poupardes obsevateurs internationaux, peut etre considéré d’une gravité extrème.
Le gouvernement du Professeur Conte
Entretemps, pendant que Di Maio s’attaquait au Chef de l’Etat, Salvini avait cependant réussi à faire dégrader et confiner dans un Ministère sans portefeuille l’anti européen Savona que le M5E avait proposé pour le crucial Ministère de l’Economie, qui avait au contraire confié à un vrai expert, le Prof. Tria de l’Université de Rome.
Et pour donner quelque crédibilité à la continuité pro-européenne du nouveau cabinet, les Affaires Etrangères avaient été attribués à un ex vice-secrétaire général de la Commission Européenne, Enzo Moavero Milanesi, ancien membre des gouvernements Ciampi et Monti (et bras droit de ce dernier à Rome comme à Bruxelles, lorsque Monti était commissaire européen).
Ainsi, avec ces médiocres maquillages, l’alliance M5E-Ligue a enfin réussi à satisfaire les conditions posées par le Chef de l’Etat, et accéder au gouvernail de l’Italie. L’improvisé Chef du Gouvernement, le Prof. Giuseppe Conte, chargé d’occuper un fauteuil que Di Maio et Salvini s’interdisaient réciproquement, n’a donc finalement pas participé, le 2 Juin, à la “contre-cérémonie” des grillini, comme il n’avait par ailleurs pas participé ni à la rédaction du “contrat de programme” entre Ligue et M5E, ni au choix de “ses” ministres. Car le soir précédent, vendredi 1 Juin, il avait prêté serment et se trouvait, au meme moment où se tenait la manifestation séditieuse, parmi les autres autorités de l’Etat au défilé militaire qui célébrait le “Jour de la République”. Le gouvernement Ligue-M5E était donc né. Mais non sans laisser – après la nuit la plus sombre de la République – une trace assez alarmante, un troublant témoignage de la faible fiabilité constitutionnelle et républicaine du Mouvement Cinq Etoiles et même de la stabilité émotionnelle de son prétendu enfant prodige, Luigi Di Maio.
Ainsi, après une gestation qui a battu tout record de durée dans l’histoire de la République – mais qui a quand meme pris la moitie du temps qui a été nécessaire pour que les Allemands se mettent d’accord sur une nouvelle Grosse Koalition – et après avoir manqué de peu une crise institutionnelle tout à fait inédite, le gouvernement Conte a vu le jour.
Réduits à des simples formalités, les votes de confiance du Senat et de la Chambre, ont été réglés le 5 et le 6 Juin 2018, et ont fait connaître aux Italiens un improvisé Chef de l’exécutif qui lisait un morne résumé du “contrat” sans aucune indication ni de priorité ni de méthode, sans réussir à projeter dans l’opinion publique une image à peine rassurante, non seulement en matière institutionnelle et économique, mais aussi en ce qui concerne la position de l’Italie par rapport à l’Europe, une position dont le sérieux devenait visible, de façon brutale, pendant ces mêmes jours
Inévitablement, dès les premiers jours de sa vie, le gouvernement M5E-Ligue a montré un étrange visage, en visage que l’on pourrait considérer de transition, d’autant plus que les sondages continuaient de montrer la Ligue de Matteo Salvini en croissance vertigineuse, notamment – mais pas seulement – à cause de la crise qui se préparait; la crise ainsi dite de l’Aquarius.
Rome, 8 Juin 2018 (à suivre)
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