L’Italie dit “Non” à son avenir
En Italie, une convergences de profiteurs de la corruption, de démagogues populistes, du vote de protestation, de déçus de l'Europe, et d'anciens communistes qui n'ont plus d'autre rêve que d'être acceptés chez les riches, a étranglé la tentative réformatrice de Matteo Renzi.
Même si certains détails prouvent que la société Italienne garde sa fibre morale, le déclin de l'affluence aux urnes , la frustration générale et l'absence de perspectives politiques laissent craindre l'instabilité, l'ingouvernabilité et, à la limite, la violence.
L’on prétend que, en appelant Matteo Renzi “Matador” pour le féliciter après que son parti avait obtenu 41% aux élections européennes, Mme Merkel aurait fourni la preuve qu’elle n’arrive pas à discerner l’Italie de l’Espagne – Que voulez-vous ? Ces pays du Sud sont tous si différents de la DDR!
Mais il s’agit probablement d’une insinuation malicieuse. Ce qui est sur est que la Chancelière voulait ainsi manifester son espoir que le plus dépensier des pays de l’Euro eut enfin trouvé un leader assez fort pour lui imposer un comportement “vertueux”. Au prix – mais qu’emporte ! – de suffoquer son économie.
En cela, Merkel a été vite déçue. Une fois au gouvernail de l’Italie, Renzi ne s’est pas conduit comme l’on s’y attendait à Berlin, allant jusqu’à menacer de voter contre le bilan de l’UE.
Un CEO jeune et énergétique
Il c‘est conduit – comme l’a écrit le Financial Times, tel un CEO jeune et énergétique chargé de sauver une entreprise qui a pendant longtemps cumulé les pertes et les dettes”. Et qui, comprenant que couper les couts ne pouvait suffire à arrêter l’hémorragie, a essayé d’investir et de réorganiser l’entreprise tout en introduisant des contrats plus flexibles pour les employés. “Les actionnaires l’avaient reçu à bras ouvertes. Et pour protéger leurs jobs, les travailleurs avaient accepté des nouveaux contrats”. Mais, “dès que le nouveau CEO a commencé à couper les privilèges dont ils jouissent aux frais des travailleurs et des créditeurs, [les actionnaires] se sont révoltés et l’on mis à la porte”.
Où a donc disparu la belle majorité de Renzi aux Primaires de la Gauche, en 2013, et aux européennes de 2014? En réalité, cette majorité était fragile dès le début. L’arrivée, avec scandale et rage de l’establishment, d’un leader jeune et volontariste à la tète d’une des Nations les plus vieillies au monde, avait bien sur suscité une vague d’espoir. (Giuseppe Sacco, Le scandale de l’espoir, in “Commentaire”, n.147, Automne 2014) Mais c’était un “espoir désespérée”, car les législatives de 2013 avaient aussi donné 25 % de voix à une menaçante troisième force, franchement hostile à la classe politique, rassemblée autour d’un humoriste démagogue, Beppe Grillo. Ce qui promettait la fin du bipolarisme et à nouveau la menace de l’instabilité.
“Logique du marché”, “subsidiarité” et destruction de l’Etat.
Celle de Renzi a toujours été une course contre la montre ; la course pour introduire tambour battant les réformes dont la nécessité est manifestement la plus criante. Le plus urgent était de récupérer à l’Etat les pouvoirs qui lui avaient été progressivement arrachés.
Cette destruction de l’Etat, avait été faite en deux étapes. D’abord en introduisant la “logique du marché” dans le secteur étatique par la création de plein d’agences, commissaires, autorités et de sept mille sociétés publiques; une opération “à la mode” idéologique de l’époque, encouragée par une mission très officielle des banquiers anglo-saxons, arrivée en Italien néanmoins qu’avec le voilier privé de la Reine d’Angleterre, le Britannia, et dont le plus fervent exécuteur avait été un “socialiste de gauche” aujourd’hui parmi les conseilleurs plus écoutés par l’homme politique français Pierre Chevenements.
Plus tard, la démolition avait continué par l’assujettissement – au nom de la “subsidiarité ” – d’un grand nombre de matières aux “pouvoirs concurrents”, donc paritaires, de l’Etat, des Régions, des Provinces, des Communes. Cette cession de pouvoirs n’a cependant pas été accompagné, comme il aurait été logique, par une augmentation de la responsabilité fiscale des collectivités locales, de sorte que, n’en ayant pas à payer le prix politique en termes de taxes, celles-ci se sont précipitées à cœur joie à augmenter les gaspillages. Inévitablement, c’a été la ruine des comptes publics. Or, la “recentralisation” proposée par Renzi demandait un referendum. C’a été celui du 4 Décembre 2016 qui, par la victoire du “Non” a conduit à ses démissions.
La machine à faire les réformes
La recentralisation n’est cependant qu’une des maintes réformes dont l’Italie ne peut plus se passer. C’est pourquoi Renzi, convaincu que ses précédents succès indiquaient un désir de moderniser le système politico administratif – et conforté par les sondages – a voulu faire plus, et se donner un instrument pour multiplier et accélérer les reformes.
L’autre point majeur sur lequel on a voté le 4 Décembre 2016 était en effet de rendre plus souple et efficace le mécanisme de la production législative, en confiant celle ci aux seuls Députés, sauf dans des cas exceptionnels, tels des nouveaux changement de la Constitution. Cela aurait permis d’éliminer l’obligation de soumettre tout texte approuvé par une des Chambres au même iter dans l’autre; et si – fait inévitable – celle ci introduisait des changements, de le soumettre à nouveau à la Chambre qui l’avait approuvé en première. Et ainsi de suite dans un ping pong exténuant.
Dans ce système, qui est sorti intacte de referendum du 4 Décembre, se cachent les pires caractéristiques du parlementarisme. Car il offre la possibilité de multiplier les amendements ad hoc pour favoriser des intérêts particuliers. Surtout, il favorise l’introduction dans un texte à l’origine plus ou moins cohérent des petits changements finalisés à rendre les lois assez peu claires et mal faites pour que l’establishment puisse par la suite suivre la formule inventé par un premier ministre du début du xx siècle : “les lois s’appliquent aux ennemis, mais pur les amis elles s’interprètent“.
Le “Non” des profiteurs du régime.
Ayant réussi le “miracle” de faire approuver par le Sénat une réforme qui en réduisait drastiquement le rôle, mais qui sauvait la très puissante catégorie des fonctionnaires parlementaires, Renzi n’a cependant pas réussi a avoir raison du “Non” de tous ceux qui profitent du statu quo. Il a obtenu le “Oui” d’une élite qui voulait changer la Constitution formelle pour compléter les réformes déjà entamées, telle celle du marché du travail, mais il a du succomber au “Non” de ceux qui étaient prêts à tout pour maintenir inchangée la Constitution matérielle.
Or, celle ci fait que l’autorité de l’état est pulvérisée, et un très grand nombre d’institutions de tous niveaux disposent du droit de veto sur toute initiative d’où qu’elle émane, de la société civile ou d’autres institutions publiques. Et cela a permis à un establishment fortement clanique de créer – tels des souris dans le fromage – des niches de chantage auxquelles doit se soumettre quiconque veut entreprendre une activité, ou même jouir de ses droits, et vivre comme l’on vit dans un pays libre et moderne. Et puisque le coût économique de la corruption dépasse largement la richesse crée par la partie productive de la société italienne, la dette du pays envers le reste du monde s’accroit d’année en année. Et la génération de ceux qui ont moins de quarante ans risque d’être appelée à faire face à la banqueroute de l’Italie.
Le “perdants” de l’Euro
Le vote de l’establishment n’aurait cependant pas suffit au triomphe du “Non” si des facteurs économiques n’avaient joué. Mais il serait simpliste de souligner qu’à Milan le “oui” a gagné, tandis que le “Non” a largement dépassé 60% dans la Provence de Rovigo, la plus misérable, rétrograde et bigote que l’obscurantisme autrichien ait laissé en héritage à l’Italie. Ou que les jeunes entre 18 et 24 – chez lesquels le chômage est à 37 % – tout étant ceux qui auraient plus d’intérêt à casser le statu quo, ont eux aussi exprimé, à 80%, un ”Non” de pure protestation, qu’ils appelaient eux-mêmes “le Non social”. Il faut aussi prendre acte d’une vague de fond contre le désavantage commercial dont l’Italie souffre à cause de l’Euro, visible dans la victoire du “Non” même dans le Nord, où le revenu par tête d’habitant est d’un tiers supérieur à la moyenne de l’Europe à 12. Et même dans les provinces où le chômage est comparable à celui de l’Allemagne, c’est à dire à moins de 6%. Aujourd’hui, plus de 70% des Italien seraient convaincus que la participation à la monnaie commune a été une erreur. Et le parti de Beppe Grillo propose déjà un referendum pour décider si l’Italie doit sortir de l’Euro.
Dans ce sombre tableau, il y a quand même des aspects positifs. Pour un pays qui a souvent été considéré comme ayant une faible unité nationale, très intéressante est la disparition du parti “séparatiste”, contrairement à ce qu’on voit en Espagne et au Royaume Uni. Encore plus positif est enfin le manque de toute corrélation territoriale entre la concentration de personnes nées à l’étranger et les succès du “Non”. Au contraire du vote anglais et américain (et probablement de ceux à venir en France et en Allemagne), l’immigration n’a joué aucun rôle. Les Italiens se sont donc confirmés comme le peuple le moins xénophobe d’Europe.
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